A l’envers d’une danse…
Mes pas crissent sur le givre. Je reviens cet après-midi sur les lieux de l’échec. Le point positif (on finit toujours par en trouver un) c’est que je suis dehors plutôt que derrière un écran à monter des images. Une feuille gelée, les bords recourbés, si petite, si touchante, ma poitrine se creuse mes bras s’arrondissent mon regard s’attendrit, j’imite péniblement la feuille, je sens que je n’y suis pas du tout. Pour y aller c’est simple : en haut de cette satanée montée des Remparts, tout de suite après le virage, vous plongez sur votre droite dans un passage étroit et buissonneux. Là, une friche, ronces arbres oiseaux, et le Glandasse en fond de scène. Mes pieds se lèvent au-dessus de moi lentement vers le ciel. Sur le chemin je retrouve un mouchoir à carreaux bleu et blanc que je ne savais pas avoir égaré. En le ramassant je découvre des flocons de ronce que je n’avais pas vu ce matin. Je vois à présent qu’il y en a partout. Une main sur la taille, déhanchée, le visage tourné de l’autre coté, le regard grave et inspiré, je savoure le plaisir d’une posture absurde seule au milieu de nulle part. Je place un tabouret pliant à l’endroit même où était ce matin le pied de la caméra. Face à la “scène”. Je tourne d’un rythme lent et régulier sur moi-même, la ligne d’horizon toujours à la même hauteur. Mes bras voyagent distraitement en volute. Dans le même temps les couleurs alentour se réveillent. Un peu sur la droite je vois un petit bout de ficelle blanche noué à la branche d’un arbuste. J’avais suspendu là un gros réveil découpé dans du carton et colorié en vert pomme, dont les aiguilles n’indiquaient pas l’heure. Soudain un chant d’oiseau vif et clair, mon buste se jette d’un coté ou d’un autre à chacun de ses cris, projetant ma tête vers le ciel. J’avais revêtu des vêtements sombres tachés de peinture blanche, tracé des lignes noires sur ma peau, mis sur la tête un morceau de collant noir, chaussé (finalement) des chaussures noires. L’intérieur de ma bouche – dents, langue, bave – était noir de charbon. Le visage recouvert du collant le nez écrasé je dégage brusquement ma bouche et mords une branche. Le goût est fade, je suis décontenancée, je ne sais plus comment continuer. Je n’avais pas de trame écrite, pas même un temps imparti, juste une mise en situation, et voir ce qui (me) vient. Je me roule dans les herbes à pleines mains je les agrippe j’enfouis mon visage dans la terre endormie je hurle en silence les yeux ouverts le gel entre de partout la piqure du froid n’est qu’une voix de plus dans l’histoire qui se raconte. Je suis assise là à me remémorer et à écrire les mouvements et les sensations du matin. Le parfum des souvenirs se tarit, et puis tout est si différent à cette heure. Je vais bientôt partir. Mon pied frappe le sol fermement, mais le tapis d’herbes absorbe le son, l’impact, la rage. C’est exactement comme si je n’avais rien fait. Le mode d’emploi dit : “Température minimale de fonctionnement : 0°C”. C’est donc en dessous de zéro que j’ai dansé ce matin dans le blanc lumineux des herbes folles, face à une caméra aveugle, juste avant le soleil.
Die, novembre 2014